Nos âmies les bêtes

J’ai l’image du géant celte Mac Lir, libéré de la tristesse l’ayant transformé en rocher, retrouver ses chiens et reprendre ce sain-t compagnonnage vers « l’autre monde »1. Redevenu lui-même, vivant, il est de nouveau en compagnonnage, l’alliance entre tous les êtres est renouvelée. Le fil d’or qui mène à l’harmonie, à la croissance sereine, est repris. Vers l’infini et l’au-delà…

le géant Mc Lir et ses chiens

Entend-on les chiens de Mac Lir aboyer dans l’au-delà dantesque ? Non, visiblement ils sont allés dans un autre monde que celui de la Divine Comédie. Et pourtant… Dante fait preuve de syncrétisme : son « autre monde » est peuplé d’anges, de démons, d’âmes humaines, de plantes, d’espèces animales terrestres et fantastiques. Les courants de pensée confluent : « un Océan ne refuse aucune rivière »2.

Quel rapport entre l’au-delà, l’univers divin et les animaux ? Quel rapport entre le monde des âmes et la vie sur Terre ? On n’imagine pas une âme béate promener son chien. On n’imagine pas le Ciel étoilé peuplé d’animaux, si ce n’est sous forme de constellations.

On croyait changer de décors en entrant dans la Divine Comédie, réalisant la promesse d’un au-delà qu’on nous a vendu : tunnel blanc, du blanc, partout, absence de corporéité, peut-être avec nos parents à côté de M. Dieu. Or on entre dans un univers à la une topologie terrestre : un univers de pluie, de lacs, de feu qui couve et d’éclairs qui tombent3. Une plage, un paysage montagnard. On se croyait appelé à une transcendance éthérée et l’on se retrouve en pleine nature. On croyait avoir accès à un autre monde, or il ressemble à la Terre ! La séparativité se perd, dévoilant un univers continu, où l’on glisse simplement de sa dimension visible à celles invisibles. « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas! » ajouterait, rieur, Hermès Trismégiste.

L’Enfer est sous-terrain, le Purgatoire est telle une cité juste au-dessus de la Terre, et le Paradis est d’abord une exploration spatiale, de planètes en planètes. Dans tous les cas, les végétaux et les animaux sont présents. A aucun moment une barrière se manifeste, qui les empêcherait d’accompagner les âmes humaines dans leurs pérégrinations. Tranquillement, on conscientise ceci : les animaux et végétaux ont une âme. Seules les âmes humaines sont dotées du libre arbitre, mais les âmes animales et végétales existent. Le divin est ainsi concerné par l’animal, celui-ci en faisant partie ! Dante défait la croyance que la vie animale serait distincte de celle humaine. Il semblerait même que les animaux soient au service des âmes humaines, c’est-à-dire dévoués corps et âme à leur évolution immortelle…

Les fidèles compagnons de métamorphoses

De l’Enfer au Paradis, tout se métamorphose en même temps, le changement intérieur de Dante personnage résonne avec le changement extérieur : il se transforme et se retrouve face à d’autres paysages, dans d’autres lieux. Les animaux prennent le comportement et la forme de leur environnement : une même espèce animale épouse la difformité infernale ou les couleurs paradisiaques, signalant dans quel état intérieur se trouvent les âmes humaines qu’ils accompagnent. Le corps humain, qu’il soit physique (âme incarnée) ou aérien (âme désincarnée) fait d’ailleurs exactement la même chose : telle une pâte à modeler transformable à l’infini, il prend la forme de l’énergie de l’âme qui l’habite. Cette énergie se traduit sous formes de pensées et d’émotions, pures (manifestations de l’énergie christique elle-même, l’onde Paix/Amour/Joie source de toutes vies) ou impures (perversion, déviation de l’énergie christique). Ainsi l’apparence des âmes en Enfer est brunie et parfois brûlée, révélant la peur, la colère, la haine et la tristesse dans lesquelles les âmes se trouvent. Le paysage est boueux, glacial ou ardent : il embourbe et brûle. La végétation est quasiment absente. Les animaux sont soit monstrueux (harpies, Géryon) soit agressifs ou distants, à l’image de leurs compagnons de route humains coupés d’eux-même. Tandis qu’au Paradis, c’est l’aigle qui s’impose, dans toute sa majesté, appelé « l’oiseau de Dieu1» puis le « saint oiseau », « aigle du Christ »2, exhortant à l’imiter: « prends de la hauteur ».

Franchi le seuil de la Divine Comédie, la transparence règne : tout état intérieur, littéralement, se voit.

Mais revenons aux métamorphoses animales : C’est parce que l’humain se métamorphose que l’animal en fait autant. Seule l’âme humaine a la capacité de choisir, donc de changer. Le règne animal suit, faisant éponge, jusqu’à ce que l’humain revienne dans la droiture christique, transcende ce qui doit l’être en lui et change son environnement. Dante décrit la transformation des animaux mais c’est celle de l’humain qui est en jeu, la clé de voûte. Les animaux s’offrent comme des miroirs à nos yeux, mais pour mieux tourner le regard vers l’intérieur de nous-mêmes.

C’est le dévouement des consciences animales envers l’humanité : la patience de l’Amour les habite, prêtes à abandonner leurs propres formes pour nous, pour nous faire évoluer.

Souvent relégués au second plan, soit par l’abstraction symbolique, soit par leur infériorisation, il est très difficile de considérer que l’amour inconditionnel habite les animaux et qu’ils sont des soutiens dans l’évolution des âmes humaines1, comme le sont à leur manière les anges. Un ensemble d’êtres concourent à l’évolution de l’humanité… participant elle-même à l’évolution de l’ensemble. On peut voir aussi, dans cette correspondance de métamorphoses, l’affinité au niveau des âmes, entre humains et animaux : les âmes réagissent semblablement aux mêmes énergies et ainsi évoluent ensemble, de dimension terrestre en dimensions subtiles. En ce sens, il n’y a ni séparativité ni séparation, ni perte, au moment de la mort du corps physique, humain ou animal. L’évolution, la transformation, la métamorphose se poursuivent, main dans la patte.

Livre de Kells1

ÉCOUTE LE PEUPLE DES OISEAUX

Des animaux sont plus présents que d’autres dans la Divine Comédie : les oiseaux, messagers de l’âme4. J’aimerais ici citer l’Évangile de Thomas, de mémoire :

Si ton guide t’a dit que le royaume est aux cieux, alors les oiseaux en sont plus près que toi (…) Le royaume est à l’extérieur et à l’intérieur1.

Qu’est-ce que la légèreté et la gaieté des chants de ces présences familières nous apprennent, nous apportent ? Nous enseigne-t-il sur l’infiniment grand dans l’infiniment petit, lorsqu’une telle puissance vocale détone de si petits corps ? « Tu me crois petit, mais c’est ta croyance qui l’est. Tu te crois grand, pourtant je vole au-dessus de ta tête. La mesure ! Chante juste ! Écoute la puissance qui m’habite! Je suis le messager de ton âme: écouteras-tu ? Me suivras-tu ? »

La force de leurs ailes a dû frapper Dante, leurs conférant une valeur protectrice et directrice sur le dos des anges qui lui montrent le chemin. Le battement des ailes sont aussi des recommandations urgentes qu’on pourrait synthétiser ainsi : « il est plus que temps de t’envoler, de t’élever, de te souvenir de qui tu es, Dante Alighieri, Le porteur d’ailes. »

En ouvrant large ses ailes de cygne,

celui qui nous parlait nous fit monter

entre deux murs de la dure falaise.

Nous ventilant au frisson de ses plumes,

il affirma : « Bienheureux qui lugent1:

consolation royale auront leurs âmes.2

L’observation rêveuse de la murmuration des oiseaux a-t-elle déposé en Dante l’aspiration à l’unité ? Ne faire plus qu’un, 1 seul grand corps, 1 seul mouvement, 1 seule direction. C’est l’idéal politique de l’auteur, mais c’est aussi sa description des âmes légères du Purgatoire et du Paradis, qui s’expriment d’ailleurs majoritairement par le chant et se meuvent à l’unisson, des colombes se déployant selon le souffle de la musique céleste. Oiseaux, anges, âmes humaines, il n’y a plus de différence, tous adoptent le même mouvement. Un frisson de liberté se dégage de la simplicité des volatiles et parcoure Dante.

La rencontre avec François d’Assise au Paradis boucle cet envol vers l’unité : celui qui a implanté sur Terre la fraternité entre les hommes, les animaux3 et les éléments4 est là. La migration de l’âme tournoie vers la communion consciente : l’âme humaine n’est plus seule dans son esprit, elle se rend compte qu’elle déploie ses ailes aux côtés d’autres lumières. Elle est capable de communier avec ses frères les animaux et les éléments parce qu’elle a d’abord fraternisée avec elle-même. Si l’osmose est partout présente, on l’a vu, pour la meilleure et la pire métamorphose, la communion entre l’humain et son environnement se révèle être dès le Purgatoire une force d’unité, une force d’arrachement à la lourdeur en même temps qu’une force d’envol. L’alliance entre tous les êtres est renouvelée et une vaste murmuration se déploie, légère, selon le fil d’or qui mène à l’harmonie, à la croissance sereine, pour tous.

1Le chant de la mer, film d’animation réalisé par Tomm Moore, dans le berceau de la mythologie celtique. https://youtu.be/O7boKr6jyjw

2Couplet d’une chanson de Sheila Chandra, Ever so lonely/eyes/Ocean. « An Ocean…./the Ocean…./your Ocean… » https://youtu.be/hh15m063gio

3Voir trasumanar tra terra e mare, de B. Pinchard, pour qui la poétique dantesque des métamorphoses mobilise la théorie aristotélicienne des phénomènes météorologiques. (revue dantesque n°1, 2017). https://dantesque.fr/archive/revue-des-etudes-dantesque s-n-1-2017/

1Par., VI, 4.

2Ibid, XXVI, 53.

1 Pour aller plus loin : consciences animales, Peggy Reboul.

1. fin du canon I. Je vous laisse découvrir cette somptueuse et fascinante œuvre par vous-mêmes ! Commentaire de Bernard Meehan : « (…) unité : le lion semble lécher le visage de l’homme et ses ailes forment une croix avec celle du bœuf. D’un calice renversé, au faîte de l’arc, jaillissent des sarments où s’enchevêtrent des paons. » https://www.leslibraires.fr/livre/17180769-le-livre-de-kells-bernard-meehan-citadelles-mazenod

1Si souhaité, on peut écouter sans modération Catherine Braslavsky le chanter avec grande justesse en grec ancien, « Basileia ». https://naturalchant.com/Albums-et-CDs/Le_Royaume/index.html

1« Bienheureux ceux qui pleurent ». St Matthieu, V, 5.

2Purg., XIX, 46-51.

3Voir l’épisode du loup de Gubbio. https://jardinierdedieu.fr/st-francois-assise-loup.html

4Lire le magnifique cantique de Frère Soleil. https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/prier/prieres-pour-notre-temps/395554-le-cantique-de-frere-soleil-par-saint-francois-dassise/

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